• La lingerie médiévale

    Tiré de l'article d'Historyextra et traduit de l'anglais par notre écossaise adorée: Eileen

    Les historiens attribuaient jusqu’à présent  l’invention du soutien gorge soit à  une française nommée Herminie Cadolle dans les dernières années du 18ème siècle, soit à l’américaine Mary Phelps, dépositaire du brevet depuis 1914.

       Les hommes portaient des chemises et des braies (sous vêtements médiévaux ressemblant à nos shorts modernes), et les femmes portaient des blouses ou chemises et pas de culotte. C’est tout ce que l’on savait des sous vêtements médiévaux jusqu’alors. Mais maintenant, grâce à des découvertes archéologiques faites à l’Est du Tyrol, en Autriche, nous pouvons nous faire une meilleure idée de ce que les femmes du Moyen Age portaient sous leur robe.

        Une découverte archéologique en Autriche a remis à l’ordre du jour les questions concernant les habitudes vestimentaires de nos ancêtres. Le château de Lengberg, dont on trouve trace pour la première fois dans les écrits en 1190, a été aménagé en palais au 15ème siècle, époque à laquelle on lui a ajouté un second étage. Pendant la vaste campagne de restauration en 2008, une cache remplie d’objets usagés a été découverte à l’endroit où ils avaient été stockés pendant les travaux de reconstruction au 15ème siècle, c'est-à-dire sous le plancher du second étage du château.
    La bonne isolation de cette cache a permis de retrouver les objets-principalement des objets en bois sculpté, des chaussures en cuir et des habits dans un excellent état de conservation. Quatre de ces fragments d’objets ressemblent fort à des soutiens gorge modernes. Leur caractéristique principale est la présence distincte de bonnets découpés (triangles ), qui contrastent avec les bandages de poitrine qu’utilisaient les femmes de la Grèce Antique ou les romaines, et qui étaient constituées de simples bandes de cuir ou de tissu enroulées autour de la poitrine, plus pour l’aplatir que pour la mettre en valeur.
       Dans les écrits de l’époque médiévale  il y a bien quelques mentions de possibles supports de poitrine féminine, mais les textes restent assez vagues sur le sujet. Henri de Mondeville,  chirurgien de Philippe le Bel et de Louis le Hutin, mentionne dans son ouvrage Chirurgie de maître Henri de Mondeville, chirurgien de Philippe le Bel, roi de France (composé en 1306-1320) : "certaines femmes…/... insèrent deux bonnets dans leurs robes, à la hauteur de la poitrine et qui sont ajustés à leurs seins et elles les y mettent [leurs seins dans les bonnets] chaque matin et attachent leur poitrine avec des bandages quand c’est possible ".
       Ces poches / bonnets avaient la même utilité que les bandelettes pour la poitrine de l’Antiquité ; c'est-à-dire de contenir les poitrines trop opulentes.
    Cependant, "les chemises avec des poches/bonnets dans lesquelles elles mettaient leurs seins" dont Konrad Stolle se plaignait dans sa chronique de Thuringie et Erfurt en 1480 semblent avoir produit l’effet inverse puisqu’il conclut sa description par les mots : « tout à fait indécent ».
       Un auteur anonyme du 15ème siècle de l’Allemagne du Sud a clairement fait référence à la mise en valeur des poitrines dans son poème satirique : "beaucoup (de femmes) font deux sacs/poches à seins et avec elles, elles se promènent dans les rues pour que tous les jeunes hommes qui les regarderaient voient leurs beaux seins, mais celles dont les seins sont trop gros font de petites poches, pour ne pas qu’en ville on jacasse sur leurs gros seins".

       Comme nous pouvons le voir, le soutien gorge médiéval fonctionnait donc dans les deux sens. Deux des soutiens gorge du château de Lengberg semblent être des chemises avec bonnets intégrés. Malheureusement, ils sont en plusieurs morceaux avec seulement un bonnet préservé sur chacun, mais ils semblent comporter un tissu supplémentaire qui vient par-dessus les poches pour couvrir l’espace entre elles, ce qui en fait la combinaison d’une chemise courte s’arrêtant juste au dessous de la poitrine et d’un soutien gorge.
    Le troisième soutien gorge ressemble beaucoup plus à un soutien gorge moderne et correspond probablement à ce que l’auteur anonyme nommait tout en sac (tuttenseck) ou sac à seins. Il comporte deux larges bretelles et les côtés déchirés près des deux bonnets semblent indiquer qu’il y avait une lanière dans le dos. Ce soutien gorge est subtilement décoré de dentelle sur les bretelles. Les deux poches sont décorées sur le dessous avec de la dentelle  et de la passementerie.
    Le quatrième soutien gorge peut être décrit avec le terme « bustier », un type de soutien gorge très en vogue dans les années cinquante mais toujours à la mode de nos jours. Chacun des deux bonnets est fait de deux morceaux de lin cousus ensemble et le corps du soutien gorge, qui descend jusque sous les côtes, comporte 6 œillets sur le côté pour une fermeture par lacet. Il comporte des bretelles étroites, et les coutures sont recouvertes de dentelle.
    Deux des soutiens gorge ont été datés au carbone 14 par l’Institut Fédéral Suisse de Technologie, et leur période correspond à la fin du 14ème, milieu du 15ème siècle.
    Nous ne savons pas si toutes les femmes du moyen âge portaient des poches à poitrine, mais il est sûr que certaines en portaient. Il semblerait cependant selon les écrits que, si le port de ces accessoires pour réduire la poitrine était accepté,  leur utilisation pour mettre en valeur les seins n’était pas bien perçue.

       Il est communément admis que les femmes n’ont pas porté de slips ou de  culottes jusqu’à la fin du 18ème siècle. La découverte d’une culotte en lin complètement préservée à Lengberg pose une nouvelle question : slip féminin ou masculin ?
    Le slip de Lengberg est un modèle développé au 14ème et 15ème siècle, lorsque les hommes commencèrent à porter des pantalons avec deux jambes reliées et non plus des chausses, qui étaient des tubes séparés. Les braies longues n’étaient alors plus utiles pour combler l’espace entre les chausses.
    Une fois étalé, le slip a la forme d’un sablier avec de fines attaches sur le côté. Il a été réparé trois fois avec des bouts de lin qui se chevauchent.
    Les peintures, les sculptures et les illustrations dans les livres, qu’ils soient des textes religieux ou non, montrent seulement des hommes portant ce type de sous vêtement : une petite pièce de tissu recouvrant les parties génitales et le pubis, reliée sur le côté par deux fines lanières attachées par un nœud au niveau des hanches.
    Lorsque les femmes sont montrées portant des sous vêtements, c’est seulement dans le cadre d’un monde qui ne tourne plus rond.
    Les pantalons et les slips étaient considérés comme le symbole du pouvoir masculin, et les femmes qui en portaient étaient de mauvaises épouses essayant d’usurper l’autorité de leur mari, ou des femmes de petite vertu.

       Une illustration de la traduction allemande  du livre De Mulieribus Claris de  Jean Boccace dit Boccace publié en 1474 montre Semiramis, reine des Assyriens, et deux jeunes filles de sa suite portant des culottes mais sa description dit : "Semiramis qui fut jadis la femme de Ninus déguisée comme un garçon et son fils" - "on dit d’elle qu’elle eut beaucoup d’amants, parmi eux était son propre fils Ninyas".
    On peut appliquer le même principe aux slips qu’aux soutiens gorge ; ce n’est pas parce qu’on pensait que les femmes ne portaient pas de culottes qu’elles n’en portaient pas en réalité, surtout qu’à certaines périodes du mois elles deviennent bien pratiques. Comment les femmes faisaient elles pendant leurs règles ?
    Selon quelques sources, principalement masculines, elles ne faisaient rien, ce qui laisse envisager l’image peu engageante de femmes laissant derrière elles des traînées de gouttes de sang partout où elles allaient.

       Cependant deux traductions de la Bible, celle de Douai de 1609-10 et la bible du roi Jacques de 1611 mentionnent des "tissus de femme réglée" (Isaïe 64/6) et "tissu menstruel" (Isaïe 30/22). Une telle traduction laisse à penser que le traducteur devait avoir connaissance de l’utilisation d’une bande de tissu dédiée à cet usage, et le slip aurait alors maintenu cette bande en place.
    Au 16ème siècle, quelques femmes italiennes portaient des culottes. Eléonore de Tolède (1522-1562) en portait et cinquante ans plus tard plusieurs culottes furent faites pour Marie de Médicis (1575-1642), la nouvelle reine de France.
    Cela ne plaisait pas à tout le monde que les femmes portent culottes. Dans son Costumes des différentes nations de 1594, Pietro Bertelli ne montre que les courtisanes vénitiennes portant des culottes.

       D’un autre côté, l’anglais Fynes Moryson qui voyagea dans toute l’Europe continentale entre 1591 et 1595 écrivit à propos des femmes italiennes "les vierges de la ville, et surtout les femmes d’un certain rang, dans beaucoup d’endroits portent des hauts de chausses en soie ou en lin sous leur robe". Il écrit également "j’ai vu des courtisanes…vêtues comme des hommes, portant hauts de chausse et justaucorps de couleur chair ou claire".
    Toujours selon lui, il semble que certaines femmes des Pays Bas aient porté des culottes, car, explique t-il,  "quelques unes des femmes des chefs, qui ne supportaient pas le froid extrême, avaient l’habitude de porter des hauts de chausses en soie ou lin ".

       Qu’en est-il de la femme anglaise ? Est-ce qu’Elisabeth I portait des culottes?
    Son effigie faite en 1603 porte un corset et une culotte. Alors que certains prétendent que la culotte étroite apposée sur l’effigie a été ajoutée en 1760, les  Comptes de la grande garde robe (1558-1603) indiquent que John Colte a été  payé 10 livres "pour fournir l’image représentant la défunte majesté…avec un justaucorps et une culotte ".
    Il y a dans cet ouvrage également une référence à sa majesté possédant six "tubes" faits en 1587 en fin tissu d’Hollande doublé de lin. Est-ce que ce sont des culottes ou plutôt des bas? Pourquoi est ce que la Reine d’Angleterre n’aurait pas réclamé pour elle le même droit de porter la culotte que la Reine de France ? Et qui aurait eu l’audace de questionner son choix de sous vêtements ?
    Et l’Angleterre du 17ème siècle? Dans son journal, Samuel Pepys qui soupçonnait sa femme d’avoir un amant, écrit le 15 mai 1663 "et j’ai honte d’avouer jusqu’où j’ai dû aller dans le mensonge pour voir si ma femme portait aujourd’hui comme à son habitude une culotte, ou pour voir d’autres choses qui confirmeraient mes soupçons à son égard, mais je n’ai rien trouvé" et le 4 juin 1663 "et je me suis caché pour voir si ma femme mettait sa culotte, et pauvre âme, elle l’a mise ! ".
    Bien sûr, cela ne veut pas dire que toutes les femmes du Moyen Age ou 17ème possédaient des soutiens gorge ou des culottes, mais quelques unes en avaient. On peut toutefois considérer que puisque les soutiens gorge de Lengberg ont été trouvés dans un château, ce genre d’article était plus courant chez les membres des classes aisées ou chez les femmes qui, pour une raison ou pour une autre, n’avaient pas à trop se soucier des standards sociaux.

    La lingerie médiévale

    Un mot sur l'auteur
    Béatrice Nutz examine les sous vêtements, l’hygiène et les mœurs aux 15ème et 16ème siècles. Chercheur à l'Institut d'Archéologie d'Innsbruck, elle a écrit sa thèse sur les vêtements retrouvés à Lengberg.

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :